Le club de lecture du mois sur Babelio était consacré à ce classique de la SF. Comme il m'attendait sur mes étagères, j'en ai donc profité pour le dévorer. J'aurai pu m'y atteler beaucoup plus tôt, notamment au moment où j'ai vu l'adaptation avec Will Smith, mais bon, j'ai tellement de bouquins "prioritaires" à lire, que certains sont encore empilés un peu partout dans la bibliothèque...
J'avoue que j'ai bien aimé le film de Francis Lawrence, malgré son manichéisme primaire. Du coup, je peux maintenant dire que le film s'est inspiré du roman, et que ce n'est pas réellement une adaptation.
Et je l'avais d'ailleurs en tête quand j'ai entamé le livre. Première surprise, le héros, Robert Neville est un grand blond de type Nordique et qui n'a pas de chien. Seconde surprise, les affreux méchants sont des vampires !
L'histoire est glaçante : au milieu des années 70, une terrible épidémie transforme la plupart des êtres humains en vampires. Du reste de l'humanité, on ne saura rien, l'écrivain s'attache aux pas de l'unique survivant (apparemment) de la ville de Los Angeles. Il s'appelle Robert Neville, il a perdu sa femme et sa fille, et est capable de résister à cette mutation.
Son quotidien s'organise autour des diverses réparations à faire dans la maison, de la recherche d'outils, de carburant ou de nourriture dans la grande ville désertée, et de la traque aux vampires qui dorment durant la journée.
Car curieusement, ces créatures mutantes s'éliminent de la même façon que les bons vieux vampires de la littérature classique : ail, pieu dans le coeur, lumière du soleil...
Cette vie morne de prisonnier est passablement étouffante, et Neville noie d'ailleurs ses angoisses dans l'alcool. Rien de mieux qu'une bonne cuite pour oublier les autres, là, dehors.
"Ce dessein fit ressurgir l'énigme qui constituait à ses propres yeux son acharnement à vivre. Certes, le champ de son activité s'était considérablement élargi ces derniers temps, mais son existence n'en restait pas moins un combat stérile et sans joie. En dépit de tout ce qu'il avait ou aurait pu avoir (hormis la compagnie d'un autre être humain, bien entendu), nulle perspective d'amélioration ou même de changement ne s'offrait à lui. Au train où allaient les choses; il avait encore trente ou quarante ans à vivre - si toutefois l'alcool ne le tuait pas d'ici là - sans rien en retirer de plus. A l'idée de mener la même existence pendant quarante ans, il fut saisi d'effroi."
Pour moi, les scènes les plus terrifiantes débutent le soir. Oh, il ne se passe généralement rien de sanglant. Ils sont là, à attendre Neville devant sa maison barricadée. A l'insulter, le défier, jeter des caillasses sur la façade.
Le pire est son ancien voisin, Cortman, qui l'appelle inlassablement, soir après soir. Et les femmes vampires, lascives, qui débitent des obscénités pour l'attirer.
Le pauvre Neville croit devenir fou, il a beau mettre la musique le plus fort possible, il les entends toujours. Solitude du coeur, frustration sexuelle, douleur d'avoir perdu ses proches... On ne peut être qu'admiratif devant la résistance de cet homme solitaire qui pourrait en finir si facilement avec cette vie qui ne rime à rien. Mais voilà, il va s'accrocher, faire une découverte scientifique d'importance, croiser brièvement le chemin d'un pauvre chien (l'un des passages les plus émouvants...) et rencontrer enfin un autre être humain. Et là, je n'en dirai pas plus.
La vision de Matheson sur le destin de l'humanité (ne pas oublier que le roman a été écrit dans les années 50) est noire et pessimiste.
"C'est la majorité qui définit la norme, non les individus isolés."
Que devient-on, quel regard porte-t-on sur les autres créatures, quand on devient soi-même un objet de crainte ou de dégoût pour une espèce différente ?
La lutte de Neville contre les vampires (qui ne sont ici qu'un prétexte, il pourrait s'agir de n'importe quelles autres créatures), qui semblait légitime, apparait soudain dérisoire et inutile. Et cette société nouvelle qui s'installe, en quoi est-elle si différente de la société humaine ? Le constat est effrayant, amer, et la phrase finale est aussi belle et juste que terrible. Une lecture qui me marquera certainement longtemps...
Petit clin d'oeil : début 2012, la Horror Writers Association a décerné le prix Bram Stocker (en hommage à l'auteur de Dracula) à ce roman de Richard Matheson (maintenant octogénaire).
Traduction : Nathalie Serval