Un grand merci à Blog O Book et aux éditions JC Lattès pour la
découverte de ce très beau roman. Un jeune espagnol de l'île Hispaniola (Saint-Domingue) vit dans le souvenir de son père, un conquistador qui a assisté et participé à la chute de Quzco.
Lorsqu'on lui annonce la mort de celui-ci, il décide de partir récupérer la fortune familiale, délaissant celle qu'il a toujours considérée comme sa nourrice indienne, et qui est en réalité sa
mère. Ces origines métis seront déterminantes dans le parcours du jeune homme qui va rejoindre les destinées de Pizarro et Orellana, au Pérou.
Je dois avouer que c'est un roman curieux mais fascinant, à la fois roman historique (la conquête espagnole des Amériques), long poème et récit initiatique. L'écriture est en effet très poétique et sied à merveille à ce long voyage à travers une civilisation sur le point d'être complètement engloutie et une nature grandiose. Cela pourrait être également le journal de bord ou carnet intime d'une vie car le narrateur s'adresse à une personne dont nous ne connaîtrons l'identité que dans les dernières pages.
Le jeune homme écoute les histoires et légendes indigènes dont se sont abreuvés les Espagnols pour conquérir cette civilisation. A la fois fasciné par les richesses et les splendeurs de pierre mais aussi touché par le sort des peuples indiens, le narrateur ne peut qu'assister, témoin impuissant, à la destruction de ce monde et à la folie des hommes.
La conquête fut sanglante, les crimes commis par les Espagnols atroces. Parmi tous les épisodes violents qui rythmèrent la chute des empires Incas, Mayas ou Aztèques, il est difficile d'oublier le meurtre d'Atahualpa ou le massacre des Indiens par Gonzalo Pizarro, qui les fit dévorer par ses chiens lors de cette fameuse expédition pour trouver la cannelle, alors davantage prisée que l'or... Des événements qui sont relatés dans le roman, ainsi que cette descente hallucinée du fleuvre Amazone, des mois durant par Orellana et ses hommes. C'est à cette occasion que nait la légende des Amazones, ou celle de l'Eldorado. Et l'on comprend mieux comment le cerveau enfiévré de l'une de ces brutes peut faire naître un monde d'une grande richesse auxquels s'accrocheront tous ceux qui sont avides de pouvoir et rêvent de faire fortune. L'incompréhension, l'ignorance, le désespoir, les désillusions seront le lot du triste équipage qui descendit le grand fleuve, subissant attaques des Indiens, maladies, faim... Mais pour quelques autres, comme le jeune héros de cette aventure, la forêt cesse d'être une ennemie pour devenir une entité protectrice, d'une beauté primitive. Et une fois que l'on a foulé le sol de ces terres sauvages et mystérieuses, elles vous hantent pour la vie.
Je n’ignorais pas qu’autre fleuve de sang indien souillait mon front, car un des bouchers avait été mon propre père. Et tu auras remarqué que je ne peux m’ôter de l’esprit ce que je n’ai même pas pu voir : je suis hanté par le fantôme d’un roi porté sur un trône en or au milieu d’un cortège en costumes d’apparat, l’empire vêtu pour la décapitation, quatre-vingt mille archers à l’extérieur attendant un message qui n’arriverait jamais, et soudain, au-dessus des fonctionnaires, prêtres, poètes, guerriers et messagers épouvantés, au-dessus des porteurs et musiciens soufflant dans les kenas et battant leurs tambours ornés de plumes, au-dessus des nobles vieillards arborant capes de laine et pendants en or, en plein après-midi, les coups de tonnerre.
Maintenant, j’avais une vision plus proche de la férocité de cette conquête, et si tu me pardonnes d’utiliser des mots que n’a même pas prononcés l’adversaire de mon maître Oviedo, frère Bartolomé de Las Casas, de la férocité de l’Espagne impériale. On attendait aussi de moi que je sois capable d’en tuer beaucoup et de rire au milieu du massacre, mais à aucun moment je n’ai voulu participer à cette ordalie.
Enfin, dans la dernière partie du roman, Ospina nous livre la clé de cette colonisation : en Europe, la guerre, l'ambition et la soif de pouvoir avaient un prix : les immenses richesses englouties par les seigneurs, les rois et les empereurs ne pouvaient plus se trouver en Europe. Alors il fallut se mettre à la recherche d'un autre continent à piller et telle fut la tragédie vécue par les peuples indigènes d'Amérique...
Ce qui navrant d'une certaine façon, c'est que le propos d'Ospina demeure d'actualité : les Espagnols puis d'autres européens pillèrent et massacrèrent les peuples indigènes pour l'or, les pierres précieuses, les épices. Aujourd'hui, les Occidentaux continuent de piller l'Amérique du sud pour le bois précieux, le pétrole, les terres rares au mépris des droits des peuples autochtones. Le monde a donc si peu changé ?
Ospina a prévu une trilogie sur le thème de la colonisation du Nouveau Monde : après Ursua et le pays de la cannelle, il sortira en 2011 le dernier volet : La serpiente sin ojos.
Note sur l'auteur : William Ospina est un écrivain Colombien, également poète et essayiste. Ce roman a remporté le Romulo Gallegos International Novel Prize. Il est déjà l'auteur d'un premier roman traduit en français : Ursua sorti en poche chez Points et d'un recueil de poésie : A qui parle Virginia en marchant vers l'eau ? aux éditions Cheyne. Il me tarde de découvrir ces deux ouvrages...
Sur le même thème, vous aimerez peut-être : La controverse de Valladolid de Jean-Claude Carrière et la Très brève relation de la destruction des Indes de Las Casas, la Relation de voyage de Cabeza de Vaca ou la Troisième balle de Leo Perutz.
commentaires
Ys 27/09/2010 21:57
Folfaerie 28/09/2010 10:08
belledenuit 20/09/2010 18:59
Jennifer 20/09/2010 15:10
Folfaerie 20/09/2010 18:28
belledenuit 20/09/2010 12:35
Folfaerie 20/09/2010 18:29
clairdelune 20/09/2010 12:34
Folfaerie 20/09/2010 18:31
Candide 20/09/2010 12:23
Folfaerie 20/09/2010 18:34