Dans le cadre du club de lecture de Babelio, je me suis décidée à relire ce remarquable essai.
Je l'avais lu il y a quelques années pour faire suite à "la controverse de Valladolid" de Carrière, lequel avoue s'y être référé constemment. Manifestement, Le Clézio est subjugué par les civilisations pré-colombiennes, leurs mythes et leurs religions. Il a abordé cet essai en érudit, et le livre refermé, on a presque l'impression d'avoir revécu la Conquête.
Le résumé de l'éditeur :
Au cours du mois de mars 1517, les ambassadeurs de Moctezuma, seigneur de Mexico-Tenochtitlan, accueillent le navire de Hernàn Cortès et cette rencontre initie une des plus terribles aventures du monde, qui s'achève par l'abolition de la civilisation indienne du Mexique, de sa pensée, de sa foi, de son art, de son savoir, de ses lois. De ce choc des mondes vont naître des siècles de colonisation, c'est-à-dire, grâce à la force de travail des esclaves et à l'exploitation des métaux précieux, cette hégémonie de l'Occident sur le reste du monde, qui dure encore aujourd' hui. Le rêve mexicain, c'est cette question aussi que notre civilisation actuelle rend plus urgente : qu'aurait été notre monde, s'il n'y avait eu cette destruction, ce silence des peuples indiens ? Si la violence du monde moderne n'avait pas aboli cette magie, cette lumière ?
C'est une lecture un peu ardue, et il est parfois difficile de ne pas perdre le fil devant cette abondance de
rites et de noms de dieux. On réalise à peine la richesse, la diversité et la complexité de ces cultures ! Mais le propos de l'auteur n'est pas de dresser un catalogue exhaustif des croyances
Amérindiennes.
Le Clézio nous interpelle sur la disparition de l'une des civilisations les plus brillantes qui ait jamais
existé. D'ailleurs, il démontre clairement que ces civilisations étaient en avance sur l'Europe dans des domaines aussi variés que les sciences, l'astronomie, la zoologie et la botanique et
même la médecine.
Cet essai évoque à la fois la Conquête, la destruction des civilisations précolombiennes et la richesse de
ces cultures à travers leurs mythes, rites, cérémonies, fêtes, etc.
En les perdant, en les anéantissant, nous avons perdu l'essentiel. Nous avons perdu la magie et la beauté. Et notre civilisation occidentale est si dépourvue de tout cela, si insignifiante, que l'auteur s'interroge sur les conséquences de cette disparition. Quel besoin nous pousse à toujours vouloir détruire et effacer ce qui semble si éloigné de notre modèle occidental et de nos valeurs ? Ces mondes, ces civilisations ne survivent plus que dans la mémoire de quelques hommes et dans quelques livres poussiéreux que personne ne lit plus...
"Ce silence, qui se referme que l'une des plus grandes civilisations du monde, emportant sa parole, sa vérité, ses dieux et ses légendes, c'est aussi un peu le commencement de l'histoire moderne. Au monde fantastique, magique et cruel des Aztèques, des Mayas, des Purepecha, va succéder ce que l'on appelle la civilsation : l'esclavage, l'or, l'exploitation des terres et des hommes, tout ce qui annonce l'ère industrielle.
Pourtant, en disparaissant dans ce silence, comme retourné vers l'origine même des temps, le monde indien a laissé une marque impérissable, quelque part, à la surface de la mémoire."
Ce qui frappa les conquérants espagnols, et ce qui fait toute la beauté et la force de ces civilisations,
c'est d'abord la place du surnaturel dans la vie des Indiens et, malgré les constructions de pierre, belles et ingénieuses, dont nous conservons les ruines, c'est cette capacité à s'adapter à
leur milieu naturel. Deux caractéristiques qui leur vaudront d'être assimilés à des barbares, des sauvages à peine plus dignes d'intérêt que des bêtes.
"La destruction porte un autre visage : dépossédé de ses terres, de ses forêts, du droit à
circuler librement, l'Indien est aussi dépossédé de la part la plus secrète de son être. Il devient un homme sans pensée,sans raison, ni ordre moral , une sorte de décérébré que son nouveau
maître doit façonner selon son gré afin de lui inculquer les principes de la morale chrétienne et le respect des nouvelles lois politiques."
Bien sûr, aujourd'hui et au quotidien, c'est à peine si ces pensées nous effleurent, et on se dit qu'il y a tellement de choses plus graves, plus pressées ou plus urgentes, mais grâce à Le Clezio, en fermant les yeux, le rêve mexicain perdure, dont on peut toujours entendre les lointains échos...
A noter que l'écrivain est l'auteur de la première traduction occidentale de la Relation de Michoacàn dont voici un petit résumé, histoire de vous tenter !
Ce testament écrit en langue espagnole aux alentours de 1540, où sont consignés l'histoire
de ce peuple, ses croyances, sa foi, les noms de ses dieux et de ses héros. Ce livre, dont l'initiative revient aux Conquérants espagnols, devenait ainsi, sous la dictée des Prêtres et des
Anciens du Cazonci assassiné, un livre purement indien, écrit pour la gloire des vaincus et non pour le profit des vainqueurs.