Barbara Kingsolver fait partie de mes écrivains américains préférés, c'est donc toujours un plaisir d'entamer un de ces romans et
celui-ci fut, une fois de plus, une excellente surprise.
Que feriez-vous si, lors d'un arrêt dans l'un de ces restaurants un peu minables qui brisent la monotonie des routes américaines, une femme vous collait un enfant de trois ans sur le siège de votre voiture en vous disant que c'est à vous de vous en occuper désormais ?
C'est la drôle de mésaventure qui arrive à Taylor Greer, jeune femme libre et indépendante, décidée à quitter son Kentucky natal et le destin tout tracé de fille-mère. C'est en traversant l'Oklahoma qu'elle hérite de cette petite fille bien singulière : une Cherokee toute menue qui semble avoir bien du mal à sortir de sa coquille.
Qu'importe, puisque le destin l'a décidé, Taylor prendra en charge la fillette qu'elle baptise Turtle. Le hasard les fait échouer à Tucson, en Arizona, où Taylor et Turtle vont composer une famille peu banale, avec d'autres personnes entrées dans leur nouvelle vie.
Comme d'habitude chez Kingsolver, on trouve des portraits de femmes bien attachantes : Mattie, la propriétaire du garage qui va fournir un boulot à Taylor, Lou Ann et son bébé, les co-locataires, Esperanza et Estevan, les réfugiés du Guatemala, les drôles de voisines, Edna et Virgie deux femmes âgées moins revêches qu'elles ne le paraissent et Alice, la mère de Taylor, toujours apte à donner de bons conseils même si sa propre vie sentimentale n'est pas loin de tourner au désastre.
Au fil des jours, des rencontres, des petits drames de la vie quotidienne, Taylor reconstitue un peu du passé deTurtle, pauvre gamine violentée. De cette adoption spontanée naît un formidable amour maternel. La relation entre Turtle et Taylor est belle et poignante. Les difficultés quotidiennes (et les doutes) pour assumer cette maternité et vivre décemment (qu'on est loin du rêve américain et des maisons de banlieue impeccables à la Desperate Housewives...) sont fort bien décrits. C'est l'Amérique des paumés, des Indiens et des pauvres. Et pourtant, ce sont des tranches de vie de personnages résolument optimistes et débrouillards. Lou Ann que son mari vient de quitter, Taylor qui va devoir affronter l'assitante sociale, Mattie qui aide les réfugiés politiques à trouver des lieux de vie plus sûrs...
Barbara Kingsolver sait, comme toujours, trouver le juste équilibre entre humour et émotion. Rien de tragique ou de pathos dans son roman, Elle aborde en filigrane les thèmes qui lui sont chers : la vie des Amérindiens si peu intégrés à la société, la pauvreté qui gangrène cette Amérique rurale et reculée, le militantisme de ces femmes d'exception et toujours la nature qui est omniprésente, notamment à travers Turtle, capable de nommer par leur nom chaque légume du potager de Mattie... Bref, un très bon roman qui a une suite : Les cochons au paradis, qui sera chroniqué d'ici peu.