Voilà un titre qui s'insère naturellement dans le challenge Nature Writing, même s'il peut paraître un peu difficile de le cataloguer. Je dois avouer que j'ai en effet ressenti une très légère pointe de déception à la lecture.
Dan O'Brien nous conte un tournant de sa vie, lorsqu'il a décidé de renoncer définitivement à l'élevage de vaches pour se consacrer à celui du bison. Ce choix fut dicté aussi bien par des considérations financières (il faut être fou pour élever des vaches dans le Dakota) qu'écologiques. Les Grandes Plaines qui formaient l'un des plus beaux écosystèmes d'Amérique ont été presque en totalité défigurées par l'élevage et dont les prairies sont devenues stériles.
Dans ce journal de bord, l'écrivain nous fait part de son découragement, puis de sa volonté de changer les choses en restaurant l'écologie de la prairie et en optant pour le retour du bison. C'est un texte nourri des réflexions personnelles d'O'Brien, de ses expériences, de son apprentissage en tant qu'éleveur de bison. C'est aussi une introduction, quoique sommaire, sur l'écologie de la grande prairie. On se prend rêver, tout comme l'auteur, au retour de ces fantastiques animaux qui incarnent si bien la grande faune nord-américaine au même titre que le grizzly ou le puma.
Avec simplicité, Dan O'brien sait expliquer comment le surpâturage des vaches et des moutons conduit à l'appauvrissement de tout un écosystème alors que les bisons dont le mode de fonctionnement est totalement différent de celui des bovins domestiques, permet au contraire la régénération de l'herbe, l'apparition d'un certain type de végétation favorable à la faune sauvage et aux oiseaux.
C'est ce dernier point qui m'intéressait le plus, et qui est malheureusement survolé. J'ai néanmoins noté dans mes prochains achats, Grassland de Richard Manning qui me parait très instructif. J'aurai aimé davantage de poésie dans les descriptions, mais cela n'enlève rien aux qualités de ce livre.
Une fin d'après-midi de septembre, il y a une douzaine d'années, mon pick-up m'a mené sur un chemin
de terre isolé qui longeait la limite sud du parc national des Badlands. Je pensais aux traites qu'il me faudrait rembourser en octobre et à la chute récente et inexplicable du prix de la viande
qui allait réduire mes revenus de moitié. Je roulais trop vite et en débouchant sur un talus poussiéreux, j'ai failli m'encastrer dans un énorme bison.
Voluptueusement allongé au milieu du chemin, il était étendu au soleil comme un gros matou d'une tonne. Mis à part une baleine aperçue un jour, c'était la créature la plus grosse que j'avais
jamais vue. J'ai freiné mais j'étais beaucoup trop près et, comme je me démenais pour passer la marche arrière, il a relevé la tête et m'a regardé droit dans les yeux. J'étais suffisamment près
pour voir le pare-chocs du pick-up se refléter dans ses sombres yeux ronds surmontés d'une touffe de poils noirs et frisés. Sa tête était aussi grosse qu'une machine à laver.
J'ai réussi à passer la marche arrière mais, tel l'invité piégé par le regard du vieux marin dans le poème de Coleridge, j'étais pétrifié. Nous nous sommes observés pendant presque une minute, et
pendant une minute, tous mes soucis professionnels ont été éclipsés par cette montagne vivante allongée devant moi. Je me suis concentré sur ses cils, longs et expressifs, alors qu'il chassait un
papillon jaune d'un battement de paupière. Tranquillement, la tête s'est baissée et les pattes se sont dépliées sous l'imposant animal. La courte queue en pinceau a fouetté la poussière et le
bison s'est balancé une première fois, puis une seconde, et s'est mis sur ses pattes. Il s'est ébroué comme un chien et un nuage de poussière du Dakota du Sud s'est élevé autour de lui, flottant
dans la brise fraîche du soir. Puis il a levé le minuscule sabot noir de sa patte arrière gauche, il a tendu la tête et, de son sabot, pareil à une ballerine, s'est gratté le cou au niveau de sa
longue barbiche laineuse. Il m'a jeté un dernier regard avant de quitter le chemin pour disparaître dans une ravine...
Les efforts de Dan O'Brien ne peuvent être que salués, évidemment, surtout lorsqu'on examine le modèle agricole américain. Il faut du courage pour sortir du cadre imposé... Cependant, je n'ai pu m'empêcher de m'attrister un peu. Car les bisons du ranch sont destinés à la consommation. Une viande plus saine, un mode de production plus écolo, de quoi séduire une nouvelle niche de consommateurs et rentabiliser le retour de l'animal. Dan O'Brien en profite pour dévoiler un peu les coulisses de l'élevage intensif du bison (et oui, ça existe !!) : pas reluisant.
Ainsi, pour sauvegarder un milieu ou une espèce, il nous faut à tout prix en retirer un bénéfice économique. Vision réaliste (ou étriquée ?) de l'écologie, mais si triste...
En France aussi, un projet est en cours depuis plusieurs années, et l'initiateur ne dit pas autre chose que l'écrivain américain : le bison est le garant de la bonne santé du milieu dans lequel il évolue.
http://www.haut-thorenc.com/notre_vocation.html
Jim Brandenburg a fondé la Brandenburg Prairie Fundation dans le Minnesota, autre projet passionnant de sauvegarde des grandes prairies.
http://www.jimbrandenburg.com/bpfoundation.html